J'ai déjà maintes et maintes fois parlé de l'Œuvre de Bernard Werber, tant ici sur ce blog que sur mes pages Facebook, mes forums "2013", et même mon journal "de l'Agnvs" :) .....
Voici un passage que je viens de découvrir dans celui que je lis actuellement ("les micro-humains").... Moi, j'adore ; ces romans sont de véritables bulles de champagne pour les neurones ... Ça pétille d'intelligence, de culture... Et d'humanité !
"Avoir raison trop tôt, est pire qu'avoir tort !"
- Qu’est-ce qu’un être humain ?
Face au pupitre de marbre de la salle plénière de l’ONU, David Wells s’adresse à l’assistance.
Il est en costume mauve, chemise mauve et cravate mauve à peine plus foncée. Son visage porte encore les marques de brûlures et de blessures reçues lors de la bataille du Puy de Côme. Ses mains sont couvertes de cloques et de cicatrices.
Devant lui, les représentants des 199 nations qui forment l’humanité terrestre. La salle lui semble immense, et tous ces regards fixés sur lui l’intimident.
Le jeune homme laisse un long silence ponctuer sa question, et celle-ci résonne longtemps en échos dans les micros.
- « Qui peut, selon vous, recevoir le titre d’être humain ? » Voilà la question que je pose à chacun d’entre vous personnellement. Dans la Rome antique, les femmes, les esclaves et les étrangers n’avaient pas le statut d’être humain. On pouvait les tuer sans être considéré comme un criminel. Plus tard, au temps des premiers explorateurs, les primitifs africains, les Indiens d’Amérique, les peuples indigènes des forêts n’avaient pas non plus droit à ce qualificatif en deux syllabes : « hu-main ».
Il rajuste sa cravate, fixe l’assemblée, s’efforce de trouver les mots exacts qui expriment sa pensée.
- Longtemps cette dénomination a été sélective. Et puis la famille de l’humanité s’est élargie et l’on a considéré que les femmes, les esclaves et les étrangers (peut-être pas dans cet ordre) étaient des êtres qui avaient leur dignité, et qui méritaient le respect, et l’égalité des chances. Désormais, pour chacun d’entre nous, c’est une évidence. Pourtant, que de morts, que de douleurs, que de combats avant d’en arriver là.
Il inspire pour trouver son rythme, saisit son verre d’eau et l’avale d’un trait. La salle reste à l’écoute.
- En élargissant la famille des êtres humains, ce n’est pas l’homme qui élève des « prétendants au titre », c’est tout simplement l’homme qui s’élève lui-même. Car chaque fois qu’il a accepté de nouveaux pairs, l’humain s’est enrichi de leur différence.
David pose un silence, pour laisser l’idée faire son chemin dans les esprits, puis il reprend.
- Mais à peine a-t-on intégré une nouvelle catégorie que déjà de nouveaux candidats surgissent. Parmi les plus récents : 1) Les clones. Quand on fabrique artificiellement une copie d’humain, un jumeau en tout point biologiquement identique, mérite-t-il l’appellation d’humain ? 2) Les fœtus. À partir de quel moment considère-t-on que les tuer est un crime ? Neuf mois, six mois, trois mois, une heure, trois secondes après la fécondation ? À partir de quel moment une cellule qui se divise peut-elle être considérée comme dotée d’intelligence, de conscience, d’une âme susceptible de lui prodiguer le titre d’humain ?
Une rumeur monte des rangs des pays qui ont voté des lois contre l’avortement.
- 3) Les comateux. Est-ce qu’une personne qui est dans le coma depuis plusieurs années, sans parler ni bouger, maintenue en vie par des perfusions, un cœur ou des poumons artificiels est toujours un être humain ?
Là encore, les représentants des pays qui ont légiféré sur le sujet réagissent.
- 4) Les robots. Est-ce qu’un androïde qui pense exactement comme nous, qui se comporte comme nous, qui a la même éducation que nous (et qui, depuis peu, est capable de prendre conscience de son « moi » et de se reproduire tout seul, comme l’Asimov 002 de mon ami Francis Frydman), est un être humain ?
Cette fois, moqueries et railleries fusent dans la salle.
- Et pourquoi pas les machines à laver et les toasters ? Lance une voix.
Aussitôt quelques rires encouragent le trublion.
David ne se trouble pas.
- Croyez-moi, vous serez confrontés un jour à ce questionnement qui vous
semble pour l’instant du pur délire ou de la science-fiction. Un jour apparaîtront parmi nous des robots fous, des robots amoureux, et peut-être même une sexualité des machines. Je fais confiance à mon collègue le docteur Frydman pour nous mener jusqu’à cette problématique. Alors, au nom de quoi leur rétorquerons-nous : vous n’êtes pas comme nous ? Vous êtes inférieurs ? Vous êtes une sous-espèce uniquement destinée à nous servir et à vous taire ?
Des quolibets fusent de partout. Cette fois, David ne peut plus les ignorer, il attend que le calme revienne.
Il a compris qu’il faut, pour être écouté, ménager de longs silences entre les phrases pour laisser peser les mots.
- Aujourd’hui, je viens vous présenter un nouveau candidat au statut envié d’« être humain ». Ses initiales sont MH, ce qui signifie Micro-Humain. Depuis peu, nous avons pris l’habitude de les nommer par la phonétique de leurs initiales : Emachs. Pour nous, scientifiques, leur nom est HM qui signifie Homo metamorphosis. L’humain métamorphosé, mais l’humain quand même.
À nouveau, quelques personnes manifestent leur réprobation. Le scientifique français poursuit, imperturbable.
- Les Micro-Humains sont en tout point identique à nous. Ils satisfont à la définition des anthropologues : mammifères, position bipède, mains à cinq doigts, pouce opposable, yeux mobiles en position faciale et capables de capter le relief, omnivore, cortex développé capable d’abstraction, et j’ajouterai : hygiène instinctive, capacité à utiliser des outils, à dialoguer et à raisonner.
David, la bouche sèche, boit une gorgée d’eau.
- Un auteur français dont j’ai oublié le nom disait que ce qui différencie les humains des autres animaux, c’est : 1) l’humour, 2) l’amour, 3) l’art. Je pense qu’on peut utiliser cette grille de tests. Ayant vécu avec eux, je peux vous le garantir, les Emachs plaisantent, rient, ont une capacité de second degré et même une forme d’autodérision.
David sent la salle sceptique, alors il précise :
- Actuellement, l’une de leurs sources de plaisanterie, c’est... nous. Tenez, je peux vous raconter une blague emach.
Cette fois la salle est attentive. La meilleure manière de captiver, songe David, reste encore une simple blague. En ménageant ses effets, il articule posément.
- C’est une devinette... « Quel est l’animal qui grandit le plus vite ? Réponse : la femme des Grands. Car le soir, le mâle Grand dit à sa compagne : “Bonne nuit, ma puce”, et le lendemain matin, il lui dit : “Allez debout, grosse vache.” »
Ils sont quelques-uns à sourire. D’autres ont ri nerveusement, pour se donner une contenance, les femmes affichent un certain agacement, mais la salle tout entière s’est détendue.
- Bon, je pense que cette blague vient de l’observation de nos émissions télévisées. Chez eux... la notion de sexisme ou de misogynie n’a pas de sens, étant donné, comme vous le savez, qu’il y a une très grande majorité de femmes.
À nouveau une rumeur parcourt l’assistance. David regrette aussitôt d’avoir rappelé cette différence qui heurte certaines nations à la culture machiste.
- Ensuite l’amour, enchaîne-t-il. Comment constater qu’une espèce est capable de ce sentiment irrationnel qu’on nomme l’amour ? Et avec ce mot je ne parle évidemment pas de l’instinct de reproduction ou de l’assouvissement des pulsions sexuelles, mais d’une émotion abstraite provoquée par un sentiment. Je les ai beaucoup observés : les Emachs aiment leurs enfants, s’aiment entre eux, et peuvent aimer certains Grands. En tout cas, j’ai eu le sentiment en vivant près d’eux que certains m’aimaient. Je vous donne un exemple. J’ai fêté mon anniversaire parmi eux dans les cavernes du Puy de Côme, et ils m’ont offert des cadeaux, non seulement parce qu’ils savaient que c’était notre coutume de Grands, mais pour me faire plaisir, et parce que cela leur faisait plaisir de me faire plaisir. Vous me comprenez ? Leur sensibilité, contrairement à ce qu’on prétend aujourd’hui, les pousse vers l’affection. Le matin, les Emachs s’embrassent. Rien de sexuel là-dedans, c’est seulement de la gentillesse. Les Emachs ont ce que l’on pourrait appeler une parade nuptiale. Même s’il y a peu d’hommes, ils discutent avant de faire l’amour, ils offrent des fleurs, des cadeaux. Pour reprendre l’une de nos expressions : ils « draguent ». Je ne vous cache pas qu’étant en minorité, les garçons sont rarement repoussés.
Cette fois, quelques rires résonnent franchement.
David tend la main vers son verre d’eau, pour marquer un temps et se reconcentrer.
- Et je peux vous dire que les femmes emachs sont très romantiques. Vous m’avez compris, ce ne sont pas des singes qui se reniflent les fesses pour voir si la femelle est en chaleur. Quand ils forment des couples, ils sont jaloux, ils se disputent... comme nous.
Nouveaux rires dans la salle. David mise sur la détente, qui provoque la sympathie.
-Ils ont l’humour, ils ont l’amour, ont-ils une capacité à comprendre et développer l’art ? Eh bien, plutôt qu’un long discours, j’ai apporté ici les plans de la cité troglodytique que les Emachs ont spontanément construite dans la montagne du Puy de Côme, en quelques jours seulement.
Il rajuste sa cravate mauve, saisit une télécommande et déclenche un diaporama. Apparaît à l’écran une vue des habitations creusées dans la roche.
- Examinez bien ces images. Observez ces fenêtres en ogive, ces balcons, ces ponts de ciment, ces arches. La forme de ces pièces est le fruit de la créativité de leurs architectes. Elles ne ressemblent à rien de connu dans notre monde. Elles n’ont pas copié, elles ont inventé leur propre style artistique, et il est unique. Remarquez ici ces gravures. Elles sculptent, gravent, peignent, cisèlent. Ce sont des artistes.
Il fait apparaître le cliché d’un mur sur lequel est peint un homme très grand à côté d’une femme plus petite.
- Ça, c’est de l’art réaliste. Elles ont voulu me représenter. Elles font même de l’art abstrait. Et de la musique.
Il déclenche une vidéo, des Emachs groupées en chorale sont en train de chanter.
Dans les haut-parleurs de la salle de l’ONU résonne une polyphonie de voix très aiguës.
- Ce sont leurs chants. Quand nous étions cachés, elles prenaient le risque de chanter pour souder leur groupe. Écoutez bien, vous entendrez un refrain. C’est un mélange de chants grégoriens, en plus aigu, et de gazouillis d’oiseaux, sur une vraie ligne mélodique. Elles font aussi de la musique. Écoutez.
Une composition harmonieuse retentit dans les haut-parleurs. La salle est attentive.
Avant la fin du morceau, David reprend : 1) L’humour,
2) l’amour,
3) l’art.
Mais nous pourrions aussi évoquer l’existence d’une civilisation complète car elles ont leur propre technologie. Ce que vous voyez sur ces photos, ce sont des appareils qu’elles ont fabriqués de leur propre initiative, avec des mécanismes que je ne comprends pas moi-même. Je pense que nous construisons nos machines en nous inspirant de la nature que nous voyons à notre échelle. Et elles voient à leur échelle d’autres formes et obtiennent donc d’autres sources d’idées.
Il fait défiler un diaporama montrant des champs cultivés.
- Ce sont leurs cultures. Ici, des céréales sauvages que nous n’avons jamais pensé à planter. Elles les nomment « graines à farine ».
Il sent que la salle commence à s’impatienter. Il décide de changer de ton.
- Je vais ajouter un élément qui prouve qu’elles sont bien humaines : elles ont combattu des gendarmes et elles les ont vaincus. C’est peut-être l’argument le plus susceptible de vous convaincre, en tout cas pour l’instant, puisque, dit-on, le facteur déterminant pour juger de la valeur d’un peuple est sa capacité à vaincre par la force.
Quelques voix s’insurgent, une rumeur s’élève.
- Vous avez vu les images en direct de la bataille du Puy de Côme. Non seulement elles ont su fabriquer leurs armes, non seulement elles ont su se défendre, non seulement elles ont su vaincre, mais elles avaient déjà prévu que si leur victoire était meurtrière, il y aurait de la rancœur de votre part. Aussi ont-elles pensé à utiliser des fléchettes soporifiques pour ne pas tuer alors que, je vous le rappelle, face à elles les gendarmes étaient armés de pistolets-mitrailleurs et ne se gênaient pas pour tirer à balles réelles sur tout ce qui bougeait, et ce sans la moindre sommation.
À nouveau, la salle réagit violemment, mais David ne sait plus si c’est positif ou négatif.
- Par ce geste de pure magnanimité, elles ont montré que non seulement elles étaient nos égales en force militaire, mais nos supérieures en respect de la vie. Et après avoir vaincu plus de soixante hommes et femmes commandos dix fois plus grands qu’elles, elles les ont faits prisonniers, les ont soignés et nourris, respectant ainsi les conventions de Genève.
Une rumeur sourde et hostile monte.
- Elles ont fait encore mieux, elles les ont sauvés alors que le volcan menaçait de tuer leurs prisonniers.
La rumeur continue de s’amplifier.
- Je sais, vous n’avez pas eu les images vidéo, pour vous c’est comme si ces scènes n’existaient pas, mais j’ai ici un témoignage écrit et signé du capitaine Malençon, qui relate et reconnaît les faits.
Il exhibe une feuille manuscrite à bout de bras.
- C’est bien Emma 109 qui l’a délivré en passant là où les « Grands » ne pouvaient plus passer. En sauvant au péril de leur vie des êtres censés être leurs ennemis, elles nous ont montré leur capacité de compassion...
Au fond de la salle, un homme se lève et lance :
- C’est vous, docteur Wells, qui leur avez donné des consignes, c’est vous qui étiez leur stratège, c’est vous qui avez été traître à votre espèce et la cause de la défaite des humains face à ces monstres !
- Qui parle ? Vous pouvez vous présenter, s’il vous plaît ?
David essaie de repérer dans l’assistance la source de la voix. Mais les projecteurs l’aveuglent, et il a beau mettre sa main en visière, il ne distingue personne.
- En effet je ne pourrai jamais vous prouver que l’initiative est venue de leur part. Pourtant vous avez ma parole que...
- ILS NAISSENT DANS DES ŒUFS ! DES HUMAINS NE PEUVENT PAS NAÎTRE DANS DES ŒUFS ! Hurle la voix.
- Et pourquoi les humains ne pourraient-ils pas naître dans des œufs, s’il vous plaît, monsieur ?
- Parce que... nous ne sommes pas des oiseaux !
Un brouhaha moqueur monte et sert de soutien au trublion.
- Ils ne peuvent pas être intelligents, lance un autre. Leurs cerveaux sont dix fois
moins volumineux que le nôtre.
- Faux ! En informatique, la miniaturisation augmente la puissance de calcul. On
peut être plus petit et plus intelligent.
- Admettons qu’ils possèdent une forme d’intelligence, ça ne signifie pas qu’ils
possèdent une âme. Je crois que le pape Pie 3.14 vous a éclairé sur le sujet. Il en a fait part à la presse en tout cas...
Nouvelle rumeur de soutien à l’homme qui vient de s’exprimer.
- La notion d’âme est une notion subjective humaine et, que je sache, il n’y a pas encore de « détecteur d’âme » qui se déclenche comme un compteur Geiger, rétorque David.
Quelques rires soulignent la phrase, en provenance de représentants de nations laïques. Toute l’assistance n’est donc pas liguée contre lui, David reprend courage. Mais déjà une autre voix l’interpelle.
- « Vos » Micro-Humains sont pour la plupart des femmes, une espèce féminisée à 90 %, ce n’est pas équilibré, notre humanité est à peu près à 50/50.
David ne se laisse pas démonter.
- Chez les fourmis aussi, il y a 90 % de femelles et 10 % de mâles. Or les fourmis sont sur la Terre depuis 120 millions d’années, et l’homme depuis tout au plus 7 millions d’années. Elles sont donc nos aînées et leurs choix sont issus d’une histoire bien plus ancienne. En les prenant pour repères, nous voyons vers quoi nous allons probablement évoluer. Elles étaient à 50 % de mâles il y a longtemps, elles sont passées à 10 % aujourd’hui. C’est le sens de l’évolution des espèces civilisées.
- Les fourmis ne sont pas civilisées ! s’exclame la première voix du fond de la salle.
- Les fourmis construisent des villes de plus de 50 millions d’habitants. Elles ont une agriculture et cultivent des champignons. Elles pratiquent l’élevage des pucerons qu’elles traient comme nous trayons nos vaches. Elles utilisent des outils pour tisser des feuilles. Elles font la guerre, elles nouent des alliances avec d’autres espèces. Si bien qu’elles ont traversé les océans, occupent tous les continents et bâtissent leurs cités dans tous les milieux. Actuellement elles sont cent fois plus nombreuses que nous, et si un extraterrestre venait nous rendre visite, il aurait plus de chances de tomber sur des fourmis que sur des hommes pour représenter l’espèce terrienne.
Cette fois, la salle est silencieuse.
- Vous voulez que nous prenions exemple sur les fourmis ? Ricane la première voix.
David comprend qu’il s’est laissé emporter par son enthousiasme, cependant il n’ose faire machine arrière.
- Pourquoi pas ? Elles ont en tout cas une meilleure communication et une plus grande solidarité que bien des humains.
- Dans ce cas, puisqu’elles ont tout ça, pourquoi ne pas réclamer aussi le statut d’humains pour « vos » fourmis tant qu’on y est ! Lance la même voix narquoise.
L’ensemble de la salle réagit par une franche rigolade.
David sent qu’il perd pied.
Quel imbécile j’ai été. Maintenant ils vont faire l’amalgame Emach = fourmi, et ils
ont un prétexte supplémentaire pour rejeter ma proposition en bloc. S’ils ne sont pas capables d’estimer des humanoïdes de 17 centimètres, ils sont encore moins capables d’estimer des êtres de quelques millimètres pourvus de pattes et d’antennes. Je ne me suis pas rendu compte à qui je parlais. Ce ne sont pas des scientifiques, pas même des esprits curieux, ce sont des politiques, toute leur réflexion n’est tournée que vers leur pouvoir personnel. Que faire ? Tant pis, je n’ai plus le choix, il faut continuer.
Il boit rapidement une gorgée d’eau et reprend :
- Les fourmis ont, comme je vous l’ai dit, 113 millions d’années d’avance sur nous. La chose devrait nous inspirer le respect plutôt que le mépris, ne croyez-vous pas ? C’est une « espèce aînée » issue du passé le plus profond et qui nous montre comment nous pourrions évoluer dans l’avenir. Ce ne sont pas des humains, mais ce sont des êtres « terriens ».
Après quelques moqueries dans des langues qu’il ne comprend pas, certains représentants le sifflent et le huent.
Il attend que la salle portée à ébullition se calme, puis :
- À moins que vous ne soyez à ce point limités dans votre conscience, pour ne juger les êtres que sur leur apparence physique, a fortiori sur leur taille.
Les sifflets et les quolibets résonnent maintenant dans toute la salle.
Je m’enfonce. Mais je ne vais pas renoncer.
- Mes Micro-Humains sont peut-être l’intermédiaire entre « l’humain grand et égoïste » et « la fourmi petite et solidaire ».
À cet instant, l’éclairage change et le fond de la salle s’illumine. L’homme qui l’avait interpellé en premier lieu se révèle être le représentant de l’Autriche. Il pointe sur lui un doigt accusateur.
- À ce détail près, clame-t-il, que vos intermédiaires entre l’humain et la fourmi n’ont rien de naturel et qu’elles ont été fabriquées dans des éprouvettes ! Comme n’importe quel gadget ou n’importe quel produit chimique.
- Voilà enfin le vrai reproche. Vous les dénigrez parce qu’elles sont « nos » créatures. Ce qui démontre l’estime que nous avons pour nous-mêmes et pour ce qui est issu de notre imagination et de notre travail.
- Vous êtes, docteur Wells, un nouveau docteur Frankenstein !
Le brouhaha se divise, des camps s’opposent.
La présidente Avinashi Singh est obligée de frapper du maillet pour obtenir le
silence.
- Laissez parler notre intervenant jusqu’au bout s’il vous plaît, je vous en prie !
Le silence revient progressivement.
- Vous pouvez poursuivre, docteur Wells.
-Ce que je vous demande aujourd’hui, c’est de réfléchir à notre avenir.
Actuellement, la réflexion a été remplacée par le réflexe. Et celui-ci est toujours motivé par la même chose : la peur. Surmontez votre appréhension de l’inconnu, de la nouveauté, de la modernité, de l’évolution. Les générations futures se rappelleront forcément ce vote et vous jugeront. Si vous ne saisissez pas l’opportunité unique que je vous offre, vous passerez auprès de vos enfants et de vos petits-enfants pour des gens aussi rétrogrades que ceux qui jadis refusèrent de reconnaître l’humanité des esclaves, des étrangers et des femmes.
Les insultes et les invectives fusent en toutes langues, qu’il ne comprend pas. Il essaie de se recentrer.
Je dois délivrer le message jusqu’au bout quoi qu’il arrive. Au nom de l’œuvre commencée par mon arrière-grand-père et poursuivie par mon père. Pour les générations futures. Pour l’avenir des Micro-Humains.
Ne pas baisser les bras et prononcer les mots prévus.
La présidente Avinashi Singh, à grands coups de maillet, réclame le silence. David se penche vers le micro.
- Aussi suis-je venu vous demander officiellement de changer votre vision sur ce
que l’on appelle pour l’instant des « Micro-Humains » mais que nous pourrions appeler nos congénères. Je viens vous demander de voter pour qu’ils soient non seulement reconnus comme des humains à part entière, mais aussi pour leur droit à vivre dans un État indépendant protégé de tous ceux qui voudraient abuser d’eux. Je vous propose de voter pour l’émergence d’un 200e État, une vraie patrie pour les Micro-Humains, une patrie-sanctuaire, où personne ne pourrait plus aller les maltraiter. Deux cents nations, cela ferait désormais un chiffre rond.
Il inspire amplement, le cœur battant.
- Du haut de cette noble assemblée des représentants des nations de notre planète, je ne dis pas : « Les civilisations passées nous contemplent », mais : « Les générations futures nous jugeront. » Ne les décevez pas. Soyez en avance d’une mentalité sur celle de vos ancêtres. Nous n’avons pas de comptes à rendre à nos parents, mais à nos enfants.
La présidente de l’ONU, Avinashi Singh, lui fait un signe, afin qu’il achève son discours.
- ... Je vous remercie pour votre attention, déclare-t-il, ne sachant comment terminer autrement.
Il n’y a pas d’applaudissements, mais des rumeurs partent de toutes les directions de la salle.
La présidente demande à nouveau le calme.
- Nous allons donc procéder au vote. Qui est d’accord pour que les Emachs soient considérés comme des humains et aient droit à un État indépendant, qui serait donc le 200e de l’ONU ? Par ordre alphabétique :
- Albanie ? - Non.
- Arménie ? - Oui.
- Azerbaïdjan ? - Non.
- Bengladesh ? - Non.
- Birmanie ?
- Non.
- Burkina Faso ?
- Non.
- Cameroun ?
- Non.
L’appel des 199 États se poursuit. Puis la présidente fait le compte et annonce :
- Sur 199 pays, nous avons donc 183 votes « non ». Six votes « oui » (Arménie,
Corée du Sud, Danemark, Israël, Pérou, Sud-Soudan). Dix votes d’abstention (Angleterre, Arabie Saoudite, Australie, Bulgarie, France, Hollande, Maroc, Thaïlande, États-Unis). La proposition de reconnaissance du statut d’humain aux Micro-Humains est donc rejetée. Nous passons au débat suivant, sur les incidents survenus à la frontière de la Thaïlande et de la Malaisie, incidents qui ont fait une dizaine de morts et une centaine de bless...
- Je voudrais dire encore quelque chose, madame la présidente, insiste Wells.
- Non, désolée, docteur Wells, votre temps de parole est terminé, veuillez rejoindre votre fauteuil.
Alors, complètement résigné et un peu abasourdi, le scientifique descend de l’estrade et va s’affaler, vaincu, dans son coin. ....
:'(
(Pour le droit des animaux, c'est pas gagné non plus .... Que mes congénères sont cons quand-même :( ... Et génèrent bien des conneries ;) )
Et Bernard Werber de continuer avec un résumé de la si édifiante histoire de Semmelweis (c'est le chapitre 92 :) ) :
Lire Werber et le partager est un plaisir :)
RépondreSupprimerA quel point peut-on faire référence a ces Miro-humains celle se pouvoir vivre avec des fourmis mais déjà c'est fait depuis si longtemps que personne ne pense à voir tout le bien que ces bestioles apportent à notre soi-disant humanisme !! Voilà mon point de vue d'une terrienne !!
RépondreSupprimerJ'ai pas tout bien compris là :P
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